Vous venez de terminer le dernier tome de L’Attaque des Titans et, en le rangeant dans votre bibliothèque, vous vous demandez comment rendra ce volume dans l’anime. Vous vous installer ensuite dans votre canapé pour quelques parties de Naruto Shippūden: Ultimate Ninja Storm 4 quand une notification vous interrompt. Elle signale la sortie prochaine de The Marvels au cinéma. « Enfin » vous vous dites, mais vous vous rappelez que vous devez absolument voir la série Miss Marvel avant. Vous filez un coup sur les réseaux sociaux pour voir l’annonce des goodies des éditions Kana pour Japan Expo, mais plus important encore, vous constatez que votre artiste préféré a sorti un nouveau doujin, quelle aubaine.

Si vous vous reconnaissez dans ce récit de vie clinquant de réalisme, alors bravo, vous êtes en plein dans la spirale infernale du transmédia ! Et ce n’est guère étonnant pour peu que vous consommiez de la pop culture tant c’est un élément central de celle-ci. Ce sera le propos de cette série d’articles, divisée en 7 parties (+ une conclusion). Chacune peut être lue indépendamment (vous trouverez un sommaire plus bas) mais je vous recommande chaudement d’en lire l’intégralité pour cerner la réflexion posée sur le sujet dans son ensemble.

Voyez l’article ici présent comme une introduction à cette série, avec quelques explications pratiques, techniques et théoriques sur le pourquoi et le comment de cette série.

Préambule

Il faut tout d’abord savoir qu’il s’agit d’une reprise d’un mémoire que j’avais réalisé en 2022 pour mon master 2 en sociologie, en parallèle d’un stage de 6 mois chez Bubble BD. Mais c’est loin d’être un simple copier-coller, j’ai adapté énormément d’éléments pour que le rendu en article de blog soit le plus agréable possible. J’ai notamment retiré toute la première partie qui servait à poser le contexte socio-économique et historique des marchés du manga et du comics. Elles ne sont pas « essentielles » à la compréhension du sujet en soi (même si elles permettaient déjà de poser quelques détails interessants). Je les publierai sans doute ultérieurement car cela reste de bonnes synthèses historiques.

Pour le reste, j’ai réécrit beaucoup d’éléments même si cela varie selon les parties. Mais, globalement, j’ai rajouté des détails, développé certains points ou reformuler d’autres pour les rendre plus clairs. Vous trouverez en toute fin de cet article un lien pour télécharger le mémoire original.


Sommaire des différentes parties

  1. Dans les mangas et comics : diversifier pour mieux capitaliser
  2. De la librairie aux conventions, le transmédia dans les espaces partagés
  3. Les trajectoires divergentes des fans entre les médiums
  4. Les limites et excès d’un modèle impossible
  5. Qu’est-ce qu’un fan ?
  6. Le fan, l’autre créateur de l’expérience transmédia
  7. Face au gatekeeping et au sexisme, le transmédia pour sortir de la marge

Pourquoi s’interroger sur le transmédia ?

Je préfère vous éviter le RP universitaire donc je vais fortement abréger mes explications sur le choix du sujet, tout en vous donnant l’essentiel du contexte m’ayant sur le sujet du transmédia.

Le prétexte à l’origine de ce sujet tient en deux points. Le premier, c’est le parallèle souvent fait entre le succès d’une œuvre sur un médium qui profite à un second (souvent celui d’origine). C’est un phénomène commun pour les mangas, comme récemment avec Oshi no ko dont les ventes ont presque triplé durant la diffusion de son anime. L’autre, c’est de constater que cela n’est pas vrai partout avec ici le cas des comics. Malgré de nombreux blockbusters, notamment avec le Marvel Cinematic Universe, qui font des millions d’entrées chaque année, le marché du comics reste à la peine en France avec 4 % de parts de marché en 2021, quand le manga y pèse pour 55 %.

Répartition du volume de ventes sur le marché de la bande dessinée en 2021, et la progression de chaque secteur par rapport à 2020 (Source : GfK Market Intelligence – Livres – Année 2021)

Alors, cela reste des marchés extrêmement différents qu’il est difficile de comparer. Inutile également d’espérer avoir une réponse limpide sur l’insuccès du comics en France, la frange transmédia du secteur ne suffit pas à apporter une explication convaincante sur l’entièreté de cette question. Toutefois, c’est ce constat qui va guider la manière dont la question du transmédia sera traitée tout au long de ces articles.

Qu’est-ce que le transmédia ? Comment s’illustre-t-il dans les industries culturelles ? Pourrait-il influer la manière dont les fans vont consommer des produits cultures, et surtout de quelle façon ? Des interrogations sur la manière dont agit le transmédia sur ses publics que j’aimerais développer encore davantage en regardant au-delà de la seule sphère industrielle classique. La Fan Culture, le contenu fanmade et les implications des fans dans la réception et surtout dans la participation de ces univers de manière officieuse.

Si vous voulez dans le mémoire, j’avais englobé tout ça par cette question forcément un peu générale :

Comment s’organise et se vit une stratégie transmédiatique dans les secteurs du manga et du comics ?

Des libertés seront prises, des détours seront faits, mais globalement, on restera quand même dans cette idée de comprendre le fonctionnement du transmédia au sein des secteurs du manga et du comics.

Méthodologie d’enquête et rapport au terrain

Là encore, j’irai à l’essentiel en vous passant des détails qui, s’ils ont du sens dans un mémoire, le sont moins dans le cadre d’un « article de blog ». Je rappelle que le mémoire original est disponible à la fin de l’article, si jamais vous souhaitez voir la version longue de mes explications.

Passons donc à la méthode mise en œuvre pour s’intéresser à cette question. Rien de bien original, un duo questionnaires/entretiens complétés par un apport bibliographique ont principalement servi pour traiter ce sujet. L’idée étant de mêler un recueil quantitatif (questionnaire) à un plus qualitatif (entretien). Une méthode qui a permis d’être en contact avec 130 personnes, dont 13 ayant aboutis à des entretiens. La plupart ont été acquis par des réseaux sociaux (principalement Twitter, un peu Facebook également), ce qui a pour garanti, mais aussi biais, d’avoir davantage accès à des individus aux pratiques de fans assez engagées.

La principale difficulté aura été d’accéder convenablement aux publics de fans. J’avais envisagé dans un premier temps d’orienter spécifiquement mon enquête sur des licences précises pour quadriller davantage le terrain. J’avais choisi Jujutsu Kaisen et Naruto pour les mangas, et Spider-Man et le Marvel Cinematic Universe pour les comics. L’idée étant de mêler des licences aux existences plus ou moins longues pouvant atteindre différentes générations de fans. C’était sûrement louable, mais dans les faits ça s’est avéré contre-productif : le sujet était moins clair et les publics concernés trop épars pour être atteints efficacement par mes canaux habituels. Ce n’était pas irréalisable clairement, mais vu qu’un mémoire c’est aussi souvent devoir travailler dans l’urgence (surtout que j’avais un stage en parallèle), on est des fois limités par de bêtes contraintes pratiques et humaines.

Une weeb (image d’illustration)

Toujours est-il que l’enquête s’est donc réalisée en trois temps. Une première tentative peu fructueuse d’obtenir d’emblée des entretiens alors que, aussi étonnant que cela paraisse (non), demandez à des gens sur internet de se confier sur leur passion à un inconnu, ça ne marche pas de ouf. Ensuite il y a eu le questionnaire concentré sur les quatre licences citées précédemment, avec possibilité de poursuivre en entretien derrière. Enfin, un dernier duo questionnaire/entretien a été mené avec cette fois une approche bien plus simple. Exit les licences précises, on parle à tout fan de mangas et de comics pour ratisser plus large et espérer plus de monde. Ce qui a plutôt marché.

Tant que je suis sur les galères de l’enquête, je tenais à préciser une chose, surtout si vous êtes possiblement un (futur) étudiant en sociologie : réduisez au maximum votre terrain d’enquête. Depuis tout à l’heure je parle d’une enquête sur deux champs, le manga et le comics, et autant le dire, c’était une idée assez atroce. C’était un coup à quasiment se doubler la charge de travail pour traiter de l’aspect transmédia sur l’un puis sur l’autre. Et même s’il y avait une envie — plutôt louable — de voir les différences entres les deux secteurs pour cerner ce qui marche chez l’un et non chez l’autre, c’était surtout un choix assez inconsidéré qui a demandé d’atteindre deux publics différents, de dresser deux historiques et deux contextes socio-économiques de marchés différents… J’ai tenu tant bien que mal un long moment, mais il se peut que vous ressentiez au fil de la lecture que ça penche de plus en plus du côté manga avant tout (surtout pour la dernière partie).

Je tenais à le préciser car c’est ce qui m’apparait comme ma plus grosse erreur sur ce travail. Peut-être que ça ne ressent pas tant que ça dans le contenu (je l’espère !) mais c’est une difficulté supplémentaire que j’aurais sans doute pu m’épargner.

Moi en train de bûcher sur ce sujet durant l’été 2022 sauf que c’était la canicule et je n’ai pas de chien en guise de soutien émotionnel

Le dernier point qu’il convient de préciser est mon rapport au terrain. Il est évident, vu les autres contenus publiés sur ce blog : je suis un weeb. Et ça a eu son importance durant l’enquête avec des avantages et des inconvénients. En positif, je suis familier de mon terrain, j’en connais les codes, les habitudes et ses fonctionnements plus spécifiques qui peuvent échapper à un néophyte. N’y voyez rien d’incroyable après, c’est juste l’apport basique d’être impliqué dans une pratique culturelle et ce qui va avec. Surtout qu’a contrario, cela induit que j’ai un regard biaisé sur le sujet et qu’il me faut prendre de la distance avec celui-ci pour éviter de considérer tout phénomène pour acquis. Pour les comics, c’est presque l’inverse. Je n’y connais absolument rien en BD américaine et j’ai surtout connu cette culture par les adaptations au cinéma. C’est d’ailleurs cette position qu’était la mienne qui a participé à m’interroger à l’origine sur pourquoi je n’ai jamais eu envie de m’intéresser aux comics alors que je suis pourtant friand de leurs versions cinématographiques. Ce qui a demandé par ailleurs un travail autrement plus conséquent pour connaitre le marché du comics et son histoire.

Voilà pour ce qui est du pourquoi du comment de ces articles. J’ai pas mal simplifié et raccourci certains passages pour rendre le tout plus digeste, donc n’hésitez pas à jeter un œil à la version originale que je vous laisse juste en dessous1 !

Lire le mémoire


Remerciements à Bubble BD et Thomas Mourier, mon maitre de stage, pour leur accueil et leur immense sympathie durant ces 6 mois de stage, ainsi qu’à Aline Hémond, ma directrice de mémoire, pour m’avoir soutenu malgré les difficultés de la période COVID.

  1. Pour des raisons de confidentialité, le talon sociologique des personnes interrogées (hormis ceux cités dans le mémoire) a été retiré des annexes ↩︎


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