En ces temps troubles, vous savez dans quoi il est bon de se plonger ? Du fluff. Oui bon ok, encore du fluff, décidément. Promis, j’ai d’autres registres en réserve, mais vu le contexte actuel, j’ai envie de débuter l’année avec quelque chose de simple et de tranquille. Pour cela, j’invoque un de mes derniers coups de cœur de 2024 : Futaribeya, un manga qui tutoie la notion même de réconfort.

Futaribeya | Terminé en 10 tomes | Disponible chez TokyoPOP (🇺🇸)

Prépublié de 2014 à 2023, d’abord dans le magazine seinen Comic Birz puis sur son successeur web Comic Boost en 2018, Futaribeya est signé Yukiko, une autrice à la carrière très portée dans le yuri. C’est sa plus longue série à ce jour, ses autres travaux consistants majoritairement à des participations à des anthologies d’autres licences (comme celle de Whisper Me a Love Song) ou originales, comme la série des Yuri Drill ou le premier Syrup1. Inédit en France, il faut se tourner vers l’édition américaine disponible chez TokyoPOP. Pour aller plus loin, son anthologie Cats and Sugar Bowls est aussi disponible chez l’éditeur américain Seven Seas Entertainment et regroupe une sympathique variété d’histoires courtes (même si parfois un peu étranges).

Dans Futaribeya, on suit simplement le quotidien de Kasumi et Sakurako, fraîchement devenues colocataires à leur entrée au lycée. La première est une gloutonne constamment à moitié endormie (mais travailleuse sérieuse), la seconde est une élève de génie doublée d’une fée du logis. Le duo s’acclimate rapidement l’une de l’autre, leurs personnalités se complémentant finalement assez bien. Au fil des chapitres, on les voit fréquenter d’autres personnages (camarades de classe, la responsable du pensionnat…) au travers d’un quotidien tout à fait banalement détendu.

Dire que tout est porté vers la détente serait un euphémisme, car l’histoire de Futaribeya n’existe réellement que dans ce but. Tout se passe avec une douceur assumée, se concentrant sur la petite vie domestique de Kasumi et Sakurako. À tel point que les séquences à l’école sont assez rares, malgré ses débuts comme de nombreuses tranches de vie lycéenne. Ici, ce qui compte, c’est la vie commune de ses personnages, à tel point que le manga évite un temps de nombreux tropes du genre (comme le festival culturel ou le voyage scolaire).

De toute façon, Yukiko semble vouloir tout mettre en place pour que cette colocation soit au cœur du récit. Déjà, parce que la possibilité de louer un studio pour aller au lycée est un concept qui me parais assez inédit, même dans la tranche de vie scolaire japonaise. Mais aussi puisque la relation du duo principal se fait d’elle-même, avec une simplicité déconcertante au début, mais qui devient rapidement une complicité simplement naturelle. Sakurako et Kasumi vivent ensemble, partageant ainsi leur quotidien et cela leur convient toutes les deux très bien de cette façon.

Puisque la série s’étale sur plusieurs années (à peu près huit, réparties sur 10 volumes), on peut apprécier de voir ses personnages grandir ensemble. Du lycée jusqu’à leur entrée dans la vie active, en passant par les années fac, le titre offre une progression appréciable à un rythme tout à fait convenable pour apprécier chaque période comme il faut. C’est assez réussi pour se permettre quelques rappels nostalgiques sur les derniers volumes, et apprécier l’évolution de ses protagonistes.

Sublimer le quotidien pour en apprécier sa simplicité, c’est le propre de l’iyashikei, et Futaribeya y parvient à merveille. Au point qu’il doit s’agir d’une de mes lectures mangas les plus apaisantes jusqu’à présent, même si forcement c’est un ressenti très personnel. Il y a un plaisir immense à juste suivre le quotidien de deux personnages appréciant simplement la compagnie de l’autre, ce dans le confort de leur foyer. Comme beaucoup d’autres du genre, le manga s’apprécie surtout en le grignotant chapitre par chapitre (comme je peux le faire avec Minuscule).

Une inquiétude que j’ai eu au départ de ma lecture était que Futaribeya soit de ces titres à faire du « queerbaiting » (ou « yuribaiting », ici). C’est-à-dire agiter la possibilité d’une relation lesbienne – dans son cas – sans jamais la concrétiser. Et…techniquement c’est que le manga fait, mais c’est plus compliqué que ça. Déjà, parce que le sujet du queerbaiting est suffisamment complexe pour être traité plus en détails autre part (et aussi parce qu’on est là pour parler fluff sans se prendre la tête). Mais aussi parce que penser que Futaribeya en fait serait une pure erreur.

Je ne sais même pas si la façon qu’a le manga de caractériser la relation entre Sakurako et Kasumi peut être qualifiée de sous-texte tant c’est fait avec une absence de subtilité qui s’assume de plus en plus au fil des tomes. À force, il y a même une relation assez amusante qui s’établit entre le lecteur et le récit. Comme si les deux se regardaient droit dans les yeux, sans rien dire, mais induisant parfaitement que chacun s’est compris. Puis, la présence d’autres couples lesbiens – explicitement présentés comme tels – et d’un personnage bisexuel plus tard dans le récit tend à penser que c’est un traitement surtout réservé aux protagonistes.

S’il faut, le manga va plutôt interroger la nature d’une relation, la difficulté à poser un mot sur quelque chose de finalement assez complexe, notamment avec les personnes dont on est le plus proche. Mais, aussi, se demander s’il est réellement nécessaire de le faire ? Plus que mettre des mots sur des liens, Futaribeya met en scène des personnages cherchant à se trouver une place qui leur conviendra dans ce monde. Le couple Moka/Koruri m’a paru très intéressant là-dessus, parsemé par les incertitudes de l’avenir et la peur de la lassitude.

© YUKIKO, GENTOSHA COMICS

Ces interrogations surviennent tardivement et servent essentiellement de finalité narrative au récit. Le couple principal offre toutefois un carcan particulièrement pertinent à ce type de réflexion. Elles, dont la complicité fut instantanément naturelle, n’ont jamais ressenti le besoin d’étiqueter leur relation. Mais, est-ce même nécessaire ? Sans la dévoiler, je trouve la réponse finale – et la manière dont elle est amenée – assez satisfaisante, tout en étant très « Futaribeya-esque » dans l’esprit.

Si jamais la question de « labeliser ses relations » est un sujet qui vous intéresse, sachez qu’elles sont au cœur de l’excellent manga Vies d’ensemble disponible chez Naban (son troisième tome sort ce jour même !). L’année dernière, je lui avais même adressé une découverte sur IGN. Avec là encore une histoire de colocataires qui ignorent exactement comment décrire leur relation, tout en se demandant s’il est vraiment nécessaire de se prendre la tête pour ça.

Quelques mots sur le dessin, même si les images illustrant cet article doivent parler d’elles-mêmes. Le style de Yukiko est très orienté « moe », ou mignon si vous préférez, ce qui est plutôt logique pour un iyashikei de ce type. La majorité des chapitres étant en 4-koma, les personnages sont très souvent représentés sous formes de chibi assez mignonnes. L’édition reliée inclue des chapitres « bonus » non numérotés, avec un découpage plus classique, et se réservent généralement les moments les plus touchants du manga. L’autrice surprend plus d’une fois par sa capacité à y saisir des moments d’une grande sensibilité avec une beauté rare. Si le manga s’apprécie principalement pour son fluff, la douce mélancolie de ces passages-là apporte une agréable consistance supplémentaire à l’histoire.

Le fluff, c’est chouette. Mais avec un peu de mélancolie, c’est pas mal aussi. Futaribeya semble avoir trouvé un parfait équilibre entre les deux. Une belle lecture de réconfort où suivre ses personnages dans leur quotidien, et leur évolution, devient un plaisir incroyable. Il y a de belles réflexions sur la conception d’une relation à prendre en toile de fond, mais le cœur reste la tranquillité. C’est bien là où excelle Sakurako et Kasumi, vivant tranquillement dans leur petit cocon à elles. En colocation ? Bien sûr. Amoureuses ? Certainement. Heureuses ? Sans le moindre doute.


  1. Série d’anthologies que je recommande vraiment pas d’ailleurs, surtout que le chapitre de Yukiko se retrouve aussi dans sa propre anthologie Cats and Sugar Bowls ↩︎


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