Cet article existe par ma faiblesse aux bonnes occasions sur Vinted. Mais aussi parce que, des fois, il suffit de me dire que la protagoniste d’un manga est une otaku fana de yuri pour me convaincre de lire un titre. La vie peut être simple et imprévisible. Avec Still Sick, j’ai effectivement eu droit à une otaku de protagoniste à fond sur ses doujins. Mais aussi à une romance adulte touchante et légère, sur fond de crise créative d’une mangaka en perdition.
L’entame de Still Sick est plutôt amusante. Makoto Shimizu, une cheffe d’équipe sérieuse et admirée en R&D, dessine en secret des doujins yuri qu’elle vend ensuite en convention. Et c’est justement à l’une d’entre elles qu’elle est reconnue par Akane Maekawa, une collègue, qui ne va pas se priver pour développer un intérêt soudain aux mangas amateurs de Shimizu. Si l’on est d’abord face à une relation amatrice/néophyte assez rigolote, on sent rapidement que Maekawa cache les réelles intentions de cette nouvelle fascination.
Avoir un cast adulte pour un yuri, en France, cela reste plutôt rare. La vie de bureau des protagonistes change un peu du classique cadre lycéen, et voir des tracas plus adultes – bref, de personnages de mon âge – est plutôt appréciable. En outre, j’ai bien aimé la façon dont est dépeinte avec tendresse et amusement la passion de Shimizu pour le yuri et la création de doujins. Son enthousiasme débordant est assez communicatif, avec certaines vannes qui marchent plutôt bien sur la façon dont un fan de yuri peut être à fond sur certains ships pour bien peu de choses, par exemple.
Dans l’ensemble, la série est même assez drôle. La dynamique entre les deux protagonistes marche particulièrement bien, surtout une fois que Maekawa se dévoile davantage. Le switch entre sa version scintillante et sa personnalité réelle, davantage blasée, est particulièrement drôle. Ses taquineries envers Shimizu marchent aussi très bien, notamment parce que les réactions paniquées de celle-ci sont hilarantes.
Le manga a aussi ses moments plus dramatiques avec quelques sujets plus lourds (anxiété créative, homophobie intériorisée…), mais il conserve une atmosphère légère grâce à sa comédie. On garde le sourire au terme de sa lecture. Le dessin d’Akashi, caractérisé par un style épuré mais très expressif, participe à cette impression en conférant à son manga un ton indéniablement nonchalant et chaleureux.
Si la création amateure est un sujet très présent au début, cela s’estompe assez rapidement une fois que le passé de Maekawa ressurgit. Il ne faut donc pas s’attendre à une plongée en profondeur dans ce milieu, mais cela reste un thème de fond qui participe à la réflexion sur le rapport à la création menée par l’œuvre. Elle nous en montre suffisamment pour que l’on comprenne bien le plaisir simple de Shimizu de se consacrer à ce loisir sans vouloir poursuivre dans une voie professionnelle.
Toutefois, Still Sick utilise justement la création amateur pour mettre en exergue les frustrations de Maekawa, issue elle de la sphère professionnelle. Enlisée dans un vide créatif depuis longtemps, voir l’épanouissement de Shimizu avec ses doujins va être source d’agacements, mais surtout une lumière à suivre pour retrouver la foi en son aspiration de créer. Ce n’est qu’une étape du voyage, cela dit, et le manga fait bien l’emphase sur toutes les embuches qu’il lui reste à surmonter pour reprendre convenablement son art. Les doutes sur ses propres capacités, la difficulté à créer quelque chose de personnel, l’isolement et la fatigue mentale, autant d’obstacles à surmonter et illustrant parfaitement l’enfer que peut être la quête de la création.
À tout ceci se greffe tout de même une histoire d’amour rondement menée. Son évolution, si elle peut sembler un poil rapide – on reste sur une série en trois tomes après tout –, permet de profiter de tout un tas d’étapes dans la construction de cette relation. Les doutes amoureux, alimentés par des conflits intérieurs (et une touche d’homophobie intériorisée pour l’une des protagonistes), ont suffisamment de place pour être exprimés clairement. Il y a notamment un joli focus sur le soutien de l’une envers l’autre, et d’une manière de faire pas toujours évidente (comment Shimizu peut aider Maekawa sur son manga, quand celle-ci est bien plus talentueuse qu’elle ?).
Dans les détails, j’ai aussi pas mal aimé l’histoire bonus du tome 2, où Shimizu partage une anecdote sur une cliente liseuse de yuri de quand elle travaillait en librairie. Sa tournure est assez évidente, mais franchement mignonne, sur la manière dont la fiction peut aider à se construire et à s’accepter comme individu. Enfin, il y a le one-shot Still Life, publié trois ans après la fin de la série, proposant un bel épilogue à celle-ci.
Finalement assez dense, tout en restant très juste, dans son écriture, Still Sick est vraiment une très chouette lecture. Que ce soit pour son histoire d’amour ou sa quête du plaisir créatif, le manga maitrise plutôt bien tout ce qu’il raconte. Il ne perd pourtant pas en légèreté et se laisse dévorer avec plaisir en un rien de temps. Créer et aimer sont deux choses bien plus liées qu’on ne pourrait le penser, et surtout rarement simples. Still Sick s’est montré particulièrement pertinent pour le rappeler et l’illustrer.
- Image de une : illustration d’Akashi pour noël 2020
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