8 épisodes – Apple TV+

Il y a de belles trouvailles à faire dans le famélique catalogue d’Apple TV+. J’avais déjà évoqué le glaçant Severance et le plus réconfortant Ted Lasso qui méritent à elles seules que vous alliez grappiller une des nombreuses manières d’avoir un essai gratuit du service pour les regarder. Lessons in Chemistry est de celles-ci, proposant de suivre sur 8 épisodes une chimiste de génie devenant présentatrice d’une émission de cuisine à la télévision dans les années 50. Il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Bonnie Garmus parue en 2022 et disponible chez nous sous le titre La Brillante destinée d’Elizabeth Zott aux éditions Robert Laffont.

Mais, avant d’être brillante, la vie d’Elizabeth Zott n’a rien de simple. Talentueuse laborantine des années 1950, elle est confrontée au sexisme ambiant de ce milieu contraignant en permanence sa carrière, entre mépris de ses confrères masculins et incompréhension des employées féminines. Sa rencontre avec Calvin Evans, autre scientifique de génie au sein de la même université, va bouleverser leurs univers respectifs, essentiellement pour le meilleur.

Et l’émission de cuisine dans tout ça ? Il faut s’armer de patience, car malgré une présence dans le premier épisode pour signer une narration parallèle réussie avec la Zott du passé, ce gimmick n’apparait réellement qu’à l’épisode 5. Pour une série en huit épisodes, c’est bien tard. C’est pourtant cette manière d’aborder la chimie par la cuisine qui m’avait attiré dans la série, donc j’ai été plutôt déçu sur ce point. Et c’est bien le seul (et très maigre) reproche que j’ai à lui faire. C’est vous dire le niveau du reste.

L’évolution de la relation entre Elizabeth et Calvin brille par son alchimie évidente mais aussi leurs difficultés à s’ouvrir à l’autre

Passons rapidement les évidentes réussites techniques la série. Les décors sont au top, l’ambiance années 50-60 est brillamment retranscrite que ce soit dans les costumes, les objets d’époque et autres apports immersifs. La mise en scène élégante transcrit à merveille la vision très logique d’Elizabeth Zott, en plus d’offrir une image soignée aux tons captivants. Niveau acteur aussi, c’est top, particulièrement pour Brie Larson tout simplement brillante dans son rôle de scientifique fière et droite. Le personnage d’Elizabeth est une belle idée, et l’actrice lui confère une véritable figure emblématique éclatante de justesse.

La série est aussi parsemée de superbes idées narratives. J’ai déjà évoqué la narration parallèle dans l’épisode 1 avec l’émission de cuisine, mais celle de l’épisode 4 est encore plus brillante de pertinence et d’efficacité dans ce qu’elle apporte au récit. L’idée du chien comme narrateur dans l’épisode est aussi une belle trouvaille pour proposer un point de vue original et presque extérieur à cette part de l’histoire.

Merveilleux narrateur d’un jour

Réussie sur la forme donc, Lessons in Chemistry l’est tout autant quand il s’agit de saisir les enjeux des sujets abordés au sein de son récit. La série est évidemment porteuse d’un discours féministe puissant, ce qui n’a rien de nouveau en soi. Mais, elle le fait avec une droiture et une fierté encore rare, surtout dans sa manière de se jouer des attributs traditionnellement admis aux femmes. Plutôt que de les effacer ou d’en faire s’émanciper sa protagoniste, elle choisit de la faire les arborer avec bravoure. Elizabeth est ainsi une cuisinière, une épouse et une mère accomplie.

Ainsi, plutôt que présenter la cuisine comme une tâche ingrate réalisée par des femmes au foyer dépendantes et inaccomplies, elle réhabilite la complexité et minutie induite par la cuisine. Ce n’est qu’un exemple parmi tant de façons de mettre la lumière sur ce qu’est qu’être femme sans passer par le besoin de s’attribuer les louanges d’un regard masculin bien benêt.

La photographie chaleureuse de la série contraste régulièrement avec la cruauté de son récit et la froideur de sa mise en scène, isolant ici totalement Elizabeth

Mais si Elizabeth constitue un flot de lumière vivifiant à ses nombreuses spectatrices, cette flamboyance est loin d’être facilement acquise. Au contraire, son histoire se révèle souvent particulièrement frustrante à suivre tant elle est faite de difficultés, au mieux injustes quand elles ne provoquent tout simplement pas un vif sentiment de rage. De là, on se dit que décidément, la vie d’une femme est franchement bien compliquée. No shit Sherlock, c’est surtout que Lessons in Chemistry le retranscrit avec une cruauté profondément vive et banale. Injustices, mépris, vols et méconnaissances crasses sont au programme de ce qui ressemble beaucoup à une navigation en Enfer.

Outre la condition féminine, la série en profite pour toucher de manière tout aussi glaçante d’autres sujets. Lorsque l’émission d’Elizabeth cherche à se doter d’un sponsor, elle montre avec brio la difficulté du syndicalisme par le déséquilibre flagrant entre l’employé et l’employeur lors de désaccords profonds. S’opposer au système n’a rien de simple, même avec la meilleure volonté du monde et la plus grande fierté à porter jusqu’au bout ses valeurs. Toute l’intrigue autour de la sauvegarde du quartier de Sugar Hill, centrée sur le personnage d’Harriet Sloane (incarnée par Aja Naomi King), permet aussi d’étendre le récit à la condition afro-américaine. Et n’hésite pas à montrer les limites de son héroïne blanche dans une lutte teinte d’une discrimination raciale qu’elle ne connait pas.

Harriet et Elizabeth à une fête de quartier à Sugar Hill

Ce dernier sujet permet d’en amener un autre un poil inattendu : le film Barbie de Greta Gerwig. Beaucoup le retiendront certainement comme la fiction féministe grand public de 2023, plutôt à raison vu son succès phénoménal au box-office. Il faut dire que son humour marche plutôt bien et son identité visuelle chatoyante le rend assez unique.

Malgré une première moitié prometteuse, le film tombe rapidement à plat concernant son sujet dès que Mattel entre dans la danse. Mattel, l’entreprise fabricante de la poupée Barbie dans notre réalité véritable, aussi à la commande de ce film, et également présent dans l’univers de ce dernier en tant que…Mattel, l’entreprise fabricante de la poupée Barbie (dans la réalité du film). Bref, Mattel est là, Mattel est partout et Mattel nous emmerde un peu franchement fort. Le coup du conseil d’administration exclusivement masculin « mais hé notre fondatrice était une femme donc ça va ! » est assez symptomatique de ce problème. Au final, le film ne vient jamais questionner les éléphants dans la pièce et se contente d’asseoir un féminisme néolibéral aux ambitions aseptisées.

Tout n’est pas à jeter cependant. Ne serait-ce parce que jamais un blockbuster n’a autant évoqué le patriarcat pour le déconstruire avec malice. La réussite de Barbie n’est pas tant dans la pertinence absolue de son discours que dans la portée qu’il parvient à donner à des idées certes affaiblies, mais dont le partage reste encore trop maigre. Le verre à moitié plein, en somme.

Les ajouts autour du personnage d’Harriet densifie le récit en enjeux et points de vue

Revenons-en à notre chimiste en cuisine. Cet aparté sur Barbie permet, à mon sens, de souligner la sagacité de Lessons in Chemistry. Le personnage d’Harriet a, par exemple, été modifié dans la série par rapport au roman pour ajouter cette histoire méconnue et pourtant bien réelle du quartier de Sugar Hill. Cela ajoute une vision intersectionnelle essentielle pour représenter la complexité de situations que l’on penserait similaires.

Cette manière de regarder la réalité droit dans les yeux et de ne pas les baisser quand cela devient trop dur est ce qui rend Lessons in Chemistry aussi exceptionnelle. Elle nous plonge dans un drame pluriel avec une justesse rare, où ses personnages sont en permanence asphyxiés par une société viriliste et capitaliste. La figure d’Elizabeth constitue certes une lumière inspirante, mais elle n’en est pas pour autant une héroïne miraculeuse. Elle subit de plein fouet ce système oppressif face auquel elle parvient certes à se débattre pour gagner, mais son histoire est aussi marquée par une impuissance cruelle dans certains combats. Et de souligner l’importance des soutiens, des mains tendues, dans ces batailles-là. Plutôt que de glorifier des figures parfaites et surcompétentes, la série embrasse les imperfections de ses personnages pour rappeler que la valeur des individus est souvent déjà là, mais tue par un système qui les empêche de s’exprimer librement. « Le courage est la racine du changement » disait Elizabeth, et celui de Lessons in Chemistry est d’avoir proposé une histoire aussi belle et droite de bout en bout.



2 réponses à “Lessons in Chemistry – Let her cook !”

  1. Ouais bof, je préférais Brie Larson quand elle vendait des NFT !

    1. Oui… Je suis si dévasté qu’elle ait arrêté, c’était un marché plein d’avenir 😢

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