Grande amatrice de récits historiques, Kaoru Mori expose sa passion dès Emma, sa première série. Publiée de 2001 à 2008, elle dépeint une histoire d’amour impossible dans l’Angleterre de l’ère Victorienne. Ce fil rouge sert avant tout de prétexte à illustrer cette période sous bien des aspects, du quotidien de la bourgeoisie et de la noblesse, à la réalité de nombreuses professions populaires, en particulier des domestiques. Et au récit de se concentrer sur l’une d’entre elles, Emma, donnant son nom au manga.

Sur l’aspect historique, l’autrice est déjà d’une rigueur admirable. Chaque planche fourmille de détails pour nous immerger dans cette époque de grands changements par l’industrialisation de l’Angleterre. Que ce soit dans les décors, les tenues vestimentaires et autres objets, on sent le profond travail de recherches fourni par l’autrice en amont. Elle en parle régulièrement en postface, d’ailleurs, avec d’amusantes anecdotes (comme son envie régulière de dessiner des soubrettes et de jolies femmes, par exemple).

Le dessin est évidemment à tomber par terre, mais c’est surtout la manière d’utiliser cette forte minutie qui rend l’œuvre si excellente sur ce point. Le récit se concentre régulièrement sur les habitudes de vie de cette époque, avec des chapitres entiers souvent consacrés à un sujet en particulier. Cela va du ménage dans une demeure victorienne, comme une soirée à l’opéra, ou un pique-nique entre nobles. Je ne vais pas m’avancer sur l’exactitude historique du récit pour autant, n’étant pas expert du sujet. Pour autant, le tout parvient à rester crédible et semble mélanger de manière équilibrée véracité historique et réinterprétation fantasmée de l’époque.

Si on connaît son travail sur Bride Stories, c’est un constat guère surprenant. Par rapport à son autre série culte, on peut toutefois souligner qu’Emma donne davantage de poids à son fil rouge, là où Bride Stories a davantage d’histoires indépendantes et issues du quotidien de ses personnages. Ici, la dimension dramatique est clairement plus appuyée, même si l’intrigue s’oublie régulièrement pour des chapitres entièrement consacrés à l’aspect historique.

“Le palais de cristal de nos rêves” est parmi mes histoires préférées de la série © Kaoru Mori

Cette histoire prend ses fondements dans une formule tout à fait classique de la romance impossible entre deux personnes issues de classes sociales radicalement opposées. Simple mais efficace, j’ai néanmoins eu du mal avec sa banalité durant le premier volume qui m’avait alors un peu déçu. Heureusement, la suite rattrape ce mauvais départ, notamment car l’écriture parvient à nous captiver pour ses nombreux personnages. Que ce soit par attachement pour leur histoire ou leur personnalité, ou simplement leur charisme, difficile de trouver qui que ce soit d’ennuyeux. Parmi mes préférés, je citerais Hakim et son stoïcisme impétueux, la maladroite mais attachante Tasha et Dorothéa avec son élégance affirmée.

Ma seule frustration vient toutefois de cette histoire dont on nous prive du dénouement final. Si le premier volume m’avait paru fade, la suite monte rapidement crescendo dans l’intensité et les enjeux dramatiques d’ampleur. De belles promesses pour la suite, mais tout s’arrête brutalement au tome 7 alors qu’on semblait approcher du climax du récit. Et, par arrêt, j’entends quelque chose de littéral : la fin du tome est indiqué comme la « fin » de l’histoire de ses protagonistes, et les trois suivants contiennent des histoires dérivées sur d’autres personnages. Des histoires très bonnes, là encore, avec un aspect anthologie particulièrement réussi. Mais sur le coup, à la lecture, c’était perturbant de subir un arrêt si soudain alors que, bah, j’étais à fond dedans sur le moment.

Cet aspect mis à part, qui me parait bon à savoir en amont de la lecture pour s’épargner d’être aussi déstabilisé que moi, on reste évidemment sur un excellent titre. Une découverte absolument formidable d’un récit historique d’exception au fondement d’une autrice merveilleusement talentueuse. Et dont je dois désormais reprendre ma quête de mes tomes manquants de Bride Stories, tout aussi recommandable que son récit victorien !


  1. Une ancienne édition était parue originellement chez Kurokawa (c’est avec celle-ci que j’ai lu le titre). Et cet article est illustré par l’édition anglaise disponible chez Yen Press ↩︎


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