En 2016, il était presque impossible de passer à côté de Nisekoi. Le titre occupait une case romcom/harem plus sage dans le Weekly Shonen Jump que To Love-ru. Il est même parvenu à devenir une quasi-référence du genre pour sa décennie. Sa popularité n’est plus à prouver, comme sa propension à s’attirer de fortes critiques.
Débuté en novembre 2011 dans le Weekly Shonen Jump (vous savez, le magazine de One Piece), le titre est arrivé deux ans plus tard chez nous chez feu Kaze, devenu depuis Crunchyroll Manga. Son auteur, Naoshi Komi, avait déjà signé par le passé quelques one-shots qui permettent déjà de se faire une bonne idée de son style, notamment sa propension à joliment mêler humour et romance. Ils sont compilés au sein d’un recueil et valent le coup d’œil. Il n’est pas non plus à sa première série, ayant déjà signé Double Arts, même si celle-ci connut une fin prématurée. Il y montrait déjà une certaine maîtrise dans l’écriture, proposant des histoires drôles et touchantes.
Et c’est plus ou moins dans ce ton que débutera Nisekoi. Le concept est simple mais savoureux : Raku, jeune héritier d’un clan yakuza, et Chitoge, jeune héritière d’un gang fraîchement installé, doivent sortir ensemble pour éviter un conflit sanglant entre les deux groupes. Ou au moins le feindre, surtout que la tâche s’annonce compliquée tant les deux jeunes protagonistes ne se supportent pas. Une base qui sera propice à des situations comiques en tout genre, ponctuées par l’intervention du reste du casting. Il faudra notamment faire avec Onodera, la rivale principale dont Raku est amoureux (et réciproquement, mais chut il ne faut pas le dire). D’autres viendront s’y ajouter au fil de récit avec toujours leur petit truc, on retiendra surtout la téméraire Marika ou encore le « je suis un cliché gênant mais j’ai un développement chouette » Maiko, meilleur ami de Raku.
Une vieille recette pour de nouvelles saveurs
Au niveau de l’histoire, Nisekoi ne vient pas réinventer l’eau chaude et s’inscrit pleinement dans la tradition des romcoms sauce harem à la Love Hina. Mais c’est dans la manière que le manga saura se démarquer.
On retrouve bien de nombreux stéréotypes du genre, mais l’écriture fantaisiste de Naoshi Komi leur apporte un charme rafraîchissant. Il joue facilement la carte de l’excès dans la caractérisation de ses personnages (l’absolue incapacité à cuisiner d’Onodera malgré un talent infini pour le dressage, la force physique ahurissante de Chitoge…). De même pour les situations souvent rocambolesques dans lesquelles il confronte ses personnages, du classique voyage scolaire à la rencontre fortuite avec la princesse d’une contrée étrangère qui échangera sa place pour une journée avec Chitoge, car le « hasard » veut qu’elles se ressemblent parfaitement.
Un passage m’avait marqué à l’époque car il résume plutôt bien l’esprit « raisonné mais décalé » de Nisekoi. Durant une séquence aux sources chaudes, Raku se retrouve piégé dans le bain des filles. Situation très classique du genre mais la tournure sera moins impulsive puisqu’il s’agira pour Raku de se sortir discrètement de ce bourbier, bien aidé par Chitoge. Le titre prend régulièrement à contrepied les attentes du lecteur, et si en 2023 ce n’est plus tellement une originalité (The Quintessential Quintuplets l’a très bien fait ces dernières années), pour une romcom du début des années 2010, c’était assez marquant.
Un large cast attachant
L’autre force de Nisekoi, c’est la capacité de son auteur à imaginer des personnages aussi attachants qu’atypiques. Rien que dans le trio principal, Raku sait se démarquer pour apparaitre comme un solide protagoniste auquel on croit à la sincérité de sa gentillesse. « C’est un bon gars » en gros, et ce même quand il doit se chamailler avec sa fausse copine. Et ça suffit à donner du crédit à cette histoire de harem, qui a au moins le mérite d’apporter une bonne raison à la romance de chacune de ses héroïnes.
De même pour Chitoge, la « tsundere » de la série mais dont l’adorable évolution l’amènera bien au-delà de ce rôle. Ou encore Onodera dont le principal attrait sera les efforts qu’elle fera pour évoluer et sortir de sa coquille de fille timide et réservée dans le but de voir sa relation avec Raku évoluer. Un profil qui contraste avec la fantasque Marika qui n’hésite pas à hurler son amour pour lui avec une passion débordante. Tout ne tourne pas seulement autour de lui, heureusement, et l’entourage de tous ces personnages permet aussi de varier les plaisirs, tout en appuyant les évolutions de chacun. Sans oublier le soin presque étonnant à developper Maiko et Ruri, les camarades inséparables de Raku et Onodera, qui connaitront leurs propres arcs avec une certaine réussite (de quoi compenser un peu la lourdeur de Maiko).
Un bémol, tout de même, se trouve dans le traitement du fil rouge principal. C’est cocasse, mais rendez-vous compte : je peux très bien vous résumer le manga sans vous parler de clé, de cadenas et de fille de la promesse ! Alors que ce sont censés être des éléments centraux de l’histoire, montrés dès les premières pages. Si l’aspect « faux couple » est essentiel au concept de Nisekoi, celui du cadenas l’est tout autant pour l’intrigue principale. Rappelons les faits : enfant, une fille avait offert à Raku un pendentif arborant un cadenas et celle-ci conserverait la clé, afin qu’ils puissent se reconnaitre le jour où ils se reverront. Les années ont passé et avec elles les besoins de prolonger une intrigue, du coup on se retrouve avec pleins de clés et de nouveaux souvenirs en pagaille. Bref, l’idée est séduisante d’un point de vue romantique, mais semble rapidement être mise au placard pour n’être ressortie que de temps à autre. Au point d’en devenir anecdotique, ce qui est assez dommage et avait pu faire pester à l’époque tant c’était la promesse initiale du fil rouge. Qui a la vraie clé ? Et bah on s’en fiche un peu, visiblement.
En romcom très classique, Nisekoi a su se montrer étonnamment rafraîchissant de son temps. C’est plus discutable en 2023, mais il représente certainement un point d’étape essentiel dans l’évolution du genre au fil des dernières décennies. Plein d’énergie dans son dessin — en particulier au niveau des expressions, Naoshi Komi étant particulièrement doué pour proposer des bouilles improbables — le titre sait assurer l’essentiel avec des personnages mémorables. Certes, le titre a tendance à oublier son fil rouge, mais c’est souvent pour mieux se concentrer sur le quotidien de ses personnages, leurs évolutions, le tout avec toujours beaucoup d’humour. Et c’est amplement suffisant.
Cet article est une version revue et actualisée de celui publié en 2016 dans l’édition 16 de Mag’zine.
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