Inio Asano, c’est un peu l’auteur du moment. Tout le monde en parle, tout le monde le connait. Que ce soit Mangalerie, Soul Of Manga, Vaikarona et même Nostroblog1, chacun trouve à dire sur cet auteur qui fascine. Et c’est maintenant moi qui vais vous parler d’une œuvre de cet auteur exceptionnel et – surtout – de sa magnifique oeuvre Solanin.

Publié entre Décembre 2005 et Mai 2006 au Japon puis édité chez nous par Kana, Solanin est un tranche de vie / drame ciblant les jeunes adultes (seinen). À partir de là, rien ne semble le différencier d’autres grands noms comme Anohana ou – dans une outre mesure – Death Note. Et pourtant, nous verrons rapidement que l’oeuvre est d’un tout autre niveau. Déjà parce qu’elle est dessinée et écrite par Inio Asano, formidable auteur déjà mentionné plus haut et qui possède un véritable don pour les histoires de jeunes. Mais aussi parce que…l’oeuvre est absolument géniale, découlant donc du point précédent. Mais quels éléments font de Solanin une oeuvre aussi exceptionnelle et grandiose ? C’est ce que nous allons voir de suite.

  • Le dessin est tout simplement exceptionnel, mêlant précision et clarté de lecture.
  • L’histoire, simple mais particulièrement profonde, jouit également d’une narration terriblement bien orchestrée.
  • Les personnages sont variés et écrits de telle manière qu’ils font particulièrement humains.
  • Dans son ensemble, Solanin est ainsi un récit particulièrement réaliste, mêlant rêve et réalité.
  • De ce fait, Solanin est une oeuvre à lire absolument. Comme l’ensemble des oeuvres de l’auteur par ailleurs.

Meiko qui exècre son boulot de secrétaire d’une grande entreprise, vit depuis un an avec Taneda, illustrateur occasionnel pour un magazine, et guitariste amateur.

Très cynique, la jeune femme n’envisage pas l’avenir de manière positive et entrevoit même la possibilité de « sortir du circuit » en donnant sa démission…

Ses amis, Jirô et Katô, ressentent également un malaise quand ils songent à leur avenir…

Source : Kana

Le génie de Solanin se situe tout d’abord dans son dessin. Épuré et particulièrement lisible, il ne délaisse pour autant pas les détails. Et de loin même. Le trait est suffisamment fin pour permettre d’accorder ensemble détails et clarté. Également, et d’un point de vue bien plus pratique, les dimensions légèrement plus élevées des deux tomes de Solanin (21cm x 15cm, comparé à du 18cm x 11,5cm pour un tome de One Piece par exemple) aident grandement à cette lisibilité accrue. L’auteur utilise à bon escient les bulles et autres onomatopées, ce qui évite d’avoir des pages surchargées en dialogues. Pour finir sur la technique pure, il est important de saluer la qualité des décors, omniprésent et toujours finement pensés. Pour un tranche de vie comme Solanin, c’est effectivement un élément particulièrement important pour donner une véritable ambiance à l’oeuvre. Que ce soit dans l’appartement de Meiko, au bureau, en pleine ville ou au bord d’un fleuve, chaque décor réussit à donner l’atmosphère correspondante et à le crédibiliser. Cela ne passe pas uniquement par les décors certes, il y a un magnifique travail de réalisé sur la profondeur de champ et les lumières.

Et si techniquement le manga est extrêmement bon, on constate rapidement que cette technique est utilisée avec intelligence. Les personnages sont uniques en terme de character design. Chacun a sa propre personnalité allant avec son apparence. Leurs expressions sont des plus éloquentes, transmettant parfaitement les émotions des personnages au lecteur. Notons également que Jirou est l’incarnation même de la CLASSE ultime. Le caractère très humain de Solanin étant une caractéristique importante, l’apparence de ses personnages ainsi que leurs expressions sont donc primordiales. Et pour terminer sur le dessin, le découpage donne une impression filmique au manga. Plans larges, gros plans, plongée ou contre plongée s’entremêlent au fil des cases et accordent une fluidité de lecture exceptionnelle. Ensemble, ces qualités visuelles permettent à Solanin de sublimer son histoire. Ce qui est très appréciable tant son histoire est débordante de qualités.

L’histoire de Solanin est simple. On y suit le quotidien d’un couple, Meiko Inoue et Naruo Taneda, qui font depuis peu leur entrée dans le monde du travail, des adultes. Avec eux, nous verrons essentiellement trois autres personnages. Kenichi Katou, le gros qui galère avec ses études; Ai Kotani, la copine de Katou et amie de Meiko; Jirou Yamada, le mec qui bosse dans une petite pharmacie familiale. À eux cinq, c’est une bande de jeunes des plus banales, celle qui sort difficilement de l’adolescence et qui a du mal à grandir. L’histoire débute avec Meiko qui décide de quitter son travail qu’elle jugeait trop chiant. C’est une décision qu’elle a prise pour vivre sa vie comme elle l’entendait, pour vivre ses propres rêves. Même si elle ne sait pas vraiment ce dont, justement, elle rêve. Dans cette histoire elle entrainera son copain, Taneda, qui rêve de vivre de sa passion, la musique, avec le groupe qu’il forme en compagnie de Kenichi et de Jirou. Passionnés, ils vont donc tenter de se faire produire par une maison de disque. Pour aller plus loin, il faudrait que je spoile l’histoire de Solanin. Et je n’en ai ni l’envie (lisez-le que diable !!) ni le talent (je suis pas du tout doué pour résumer des trucs) pour le faire. Il faut juste savoir que le récit aborde de nombreux thèmes, de la musique à la famille, en passant par l’amour et l’intégration dans la société. Sans oublier le thème central du passage à l’âge adulte, évidement.

L’écriture de Solanin est comme le dessin qui lui donne vie : incroyable. La narration bénéficie de l’enchainement idéal de chaque case, le tout écrit avec le rythme juste. Tout se suit, tout s’enchaine avec une transparence saisissante. On est directement plongé dans le manga du début jusqu’à la fin. Le scénario n’est jamais ennuyeux ou lourd à supporter, et pourtant vu les thèmes abordés cela aurait facilement pu être le cas. Cela est possible grâce à des détails, dans certaines scènes, qui ponctuent d’humour le récit. Par exemple, quand Kenichi ne cesse de perdre au pierre-feuille-ciseau ou la scène du zoo. Certaines mimiques (notamment, encore une fois, celles de Kenichi) font également sourire. Cette joie de vivre caractérise aussi les personnages, dont l’écriture réussit à les rendre très humains, vivants, réalistes. Le groupe principal a cette géniale particularité d’être écrit avec une densité suffisante pour qu’aucun d’entre eux ne ressorte comme un simple archétype. Certes, on peut les caractériser grossièrement (comme Meiko, jeune fille naïve et rêveuse) mais cela reste très limité. Et ce coté vivant des personnages aide énormément à l’identification. Étant un seinen, le manga s’adresse évidemment à un public similaire que celui qu’il met en scène. Et cela marche extrêmement bien.

Le tout nous amène au génie de Solanin. L’oeuvre aborde le thème de la jeunesse et du passage à l’âge adulte avec une justesse exceptionnelle. Pour un jeune, il est presque impossible de ne pas se retrouver dans les personnages ou l’histoire, tant elle touche juste.

Avec Solanin, Inio Asano ne raconte pas une histoire de jeunesse naïve et belle. À l’âge de maturité, il fait au contraire le récit de quelque chose de bien plus complexe, mêlant rêves et doutes. Le premier tome semble être un appel à la lutte pour nos rêves, pour nos convictions, à l’image des shonen du public plus jeune. Alors que le second, bien plus dur (mais pas plus sombre, nuance), rappelle que la réalité n’est pas si naïve. Ainsi, les espoirs d’une jeune fille comme Meiko se heurtent à une société trop complexe et froide pour laisser la place à ses fantasmes. On verra ainsi Meiko murir au fil de l’oeuvre, ce qui sera bien marqué dans le second tome avec le flashback sur son entrée à l’université. Dans celui-ci, elle parait encore plus jeune dans le sens où elle est encore plus enfantine, plus naïve. Solanin ramène ainsi à la réalité des jeunes rêveurs emplis un peu trop naïfs. L’histoire aurait pu montrer simplement le groupe poursuivre ses idéaux mais la société leur a ici barré la route. Ou plus exactement le groupe a refusé la route de la société. En refusant les contraintes imposées, le groupe – mais surtout Meiko – a nié la réalité dans laquelle ils sont. Ce qu’ils seront, par la suite et au terme de l’histoire, contraints de faire avec.

Est-ce donc le message du manga ? D’abandonner ses rêves pour réussir à vivre dans une société froide et superficielle ? Oui. Mais pas seulement. C’est là que l’histoire de Solanin offre une dualité particulièrement savoureuse. Avec une telle morale, la scène du concert dans le second tome n’aurait alors aucun sens. Le manga, au lieu de simplement rejeter les rêves de jeunesse, cherche plutôt à les inclure dans la réalité. #SPOIL# Avec le concert, Meiko a, en quelque sorte, accompli le rêve de Taneda. Mais par la suite, elle devra tout de même déménager et retourner travailler. Comme au début de l’histoire. ##PLUS SPOIL #OUF## Cependant, elle partira avec sa guitare. Elle ira ainsi vivre dans la réalité mais tout en conservant un soupçon de ses rêves. À cela on peut également ajouter le producteur de musique qui s’est reconverti dans la découverte de jeunes talents indépendants. La société froide et immuable dépeinte plus tôt se révèle alors une subtilité appréciable. Il est permis d’y rêver, mais à une échelle moindre et d’une autre manière. Les personnages intégreront ainsi la société, trouveront un boulot, mais conserveront leur rêve, désireux de refaire un concert. C’est là le génie de Solanin, réussissant à parler de rêves avec un réalisme froid, presque cruel, mais donnant au récit une justesse incroyable. Une véritable histoire qui ne tombe jamais ni dans la naïveté, ni dans le drame surfait.

Une magnifique histoire mêlée à un superbe dessin, voilà ce qu’est Solanin. Irréprochable sur la forme, le fond l’est tout autant. Je n’ai proposé ici que ma propre lecture de l’oeuvre, l’ensemble étant particulièrement dense. C’est là une autre qualité du manga, pour sûr. J’aurais par exemple pu parler, dans le second tome, du pansement de Meiko qui lui est retiré par Jirou. #SPOIL# Signifiant que le fait d’avoir rejoint le groupe à la place de Taneda lui ait permis de se remettre debout#PLUS SPOIL# . En tout cas, c’est une oeuvre qu’il faut absolument lire (tout comme les autres oeuvres de l’auteur certainement). L’histoire cerne les problèmes de jeunesses avec une grande précision. Sa dimension humaine est forte, car c’est un peu l’histoire de tout le monde, de tout jeune à notre époque. En confrontant la naïveté de Meiko à la dure réalité de notre société, Solanin en ressort un formidable récit bien plus complexe, et dans un sens plus mûr, que les autres histoires de jeunes poursuivant leurs rêves.

En deux tomes, Inio Asano dresse ainsi un portrait de la jeunesse (japonaise, mais comme dit plus haut on peut facilement décalquer le récit pour nos contrées) tout en lui racontant l’histoire dont elle avait besoin. Le tout, mené avec une brillante intelligence et illustré par une technique phénoménal, fait de Solanin un manga particulièrement excellent. Et exceptionnel.


  1. Eux on s’attend vraiment pas à ce qu’ils parlent d’Asano en plus. #HumourDeBlogueur ↩︎



Une réponse à “Critique – Solanin : Il était une fois la jeunesse”

  1. /!\ SPOIL /!\
    (Enfin juste un peu, mais on sait jamais.)

    Je suis vraiment ravi que le manga te plaise et encore plus que tu en parles, il est resté longtemps mon favoris (jusqu’à ce que sorte Bonne nuit Punpun en fait) et j’ai toujours eu du mal à mettre des mots dessus tant il fait écho à ma jeunesse (j’ai l’air d’un vieux en disant ça).

    Je n’ai rien à ajouter, à part le fait qu’il est amusant de voir Asano gêné quand on lui parle du manga, surtout à propos du retour à la réalité que tu abordes. Car si les personnages reprennent une vie ordinaire, lui a persévéré dans sa carrière de mangaka.
    Source : mon interview d’Asano dans le dernier Animeland #PubDéguisée

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